Lundi 10 août 1 10 /08 /Août 20:52
- par Caroline pour Paul


Minuit venait de carillonner. Le téléphone fit écho.
Caroline décrocha le combiné à la deuxième sonnerie.
La voix dans l'écouteur était mâle et juvénile, le débit précipité:
--Je suis rasé entièrement et j'aime tout! lança le garçon à toute vitesse.
Encore un jeune homme gay qui s'était trompé de réseau téléphonique. Elle
s'apprêtait à le remettre sur les bons rails avec gentillesse, quand le déclic
l'arrêta: il avait déjà raccroché.

Décidément, quel drôle de métier! Caroline avait accepté au pied levé de
remplacer sa meilleure amie, Sofia, pour une semaine. C'était sa quatrième nuit
à son poste et elle ne s'y faisait toujours pas. Il fallait avouer que Sofia
avait quand même décroché un drôle de job ce coup-ci. Hôtesse pour téléphone
rose dans un grand call-center de la banlieue d'Orléans, rien que ça! En
d'autres circonstances Caroline n'aurait jamais accepté un travail aussi
saugrenu et aussi éloigné de ses activités... Mais Sofia était sa meilleure
amie, et quand elle l'avait appelée, affolée, depuis l'hôpital, en la suppliant
de la dépanner pour lui éviter de perdre sa place, elle n'avait pas pu lui dire
non. Justement, elle avait un break de quelques jours entre deux missions
d'interprétariat, aussi avait-elle accepté de venir loger dans le petit studio
de son amie et de tenir son rôle chaque soir au centre de téléphonie jusqu'à son
retour de congé maladie.
En quatre jours, elle en avait entendu de toutes les couleurs, de la promesse de
viols multiples aux offres de soumission masochiste, en passant par des
injures obscènes et toute une gamme de perversions scatologiques dont elle ne
connaissait même pas l'existence auparavant... Qui aurait cru qu'Orléans
dissimulait tant de vies cachées, tant de phantasmes, tant de pulsions plus ou
moins refoulées?
Quand elle regagnait son logement, tard dans la soirée, elle ne
pouvait s'empêcher de regarder souvent par-dessus son épaule...
Et si ce type louche à la voix rocailleuse, celui qui lui avait dit qu'il adorerait
l'étrangler tout en la chevauchant, rôdait alentour?
La plupart de ses correspondants nocturnes avaient toutefois des voix peu assurées,
le plus souvent de très jeunes gens maladroits ou des célibataires solitaires en
mal de sensations fortes.
Parfois un homme marié qui demandait à ce qu'elle se joigne à lui et sa femme.
Caroline déclinait avec politesse, il ne fallait pas rencontrer les clients,
ce n'était pas permis par le règlement.

Bien sûr, en réalité, certaines de ses collègues le faisaient, parfois contre
rémunération pour arrondir leurs fins de mois difficiles, parfois, à sa grande surprise,
"pour le fun" comme le lui avait confié sa collègue Samira, une jolie rousse qui
n'avait pas froid aux yeux.
--Mais comment peux-tu te risquer à rencontrer quelqu'un que tu ne connais que
par téléphone?! s'était insurgée Caroline. Enfin, Samira, tu pourrais tomber sur
n'importe qui, un taré échappé de l'asile psychiatrique, un serial-killer, un
type glauque criblé de maladies ou un traquenard pour te faucher ta
Carte Bleue et Dieu sait quoi encore!
--Pour ce qu'il y a dessus, ma pauvre Carte Bleue, je leur souhaite bon courage,
avait répliqué Samira, rieuse; tu sais, après quelques mois de ce taf, tu apprends
assez vite à reconnaître les types qui ne sont pas francs du collier, en dix
minutes de conversation, tu es fixée! Moi je préfère aller à des rendez-vous
avec des couples, c'est plus amusant, et si l'un des deux est moche, je me
concentre sur l'autre. Comme ça j'ai une chance sur deux de passer une bonne
soirée. Tu devrais essayer...

Caroline avait levé les yeux au ciel, effarée, en se disant qu'il y avait une
providence pour les inconscientes. Ce n'était pas elle qui se laisserait
embarquer dans une histoire pareille... Bon, elle avait bien été tentée, un
court instant, de faire venir l'un de ces soumis volontaires qui lui faisait des
offres de travaux ménagers, pour nettoyer la salle de bains et le cellier de
l'appart de Sofia, lesquels étaient dans un état de pagaille affligeant, mais
juste un instant, vraiment, et elle s'était retenue.

Minuit et demie. La nuit se traînait.
C'est alors que le téléphone sonna à nouveau...

La voix mâle était grave et chaude, un peu âpre, avec une diction imparable, une
de ces voix vibrantes et maîtrisées qui vous donnent le frisson.
Un peu troublée malgré elle, hésitante, Caroline commença à ébaucher un
scénario, une scène de séduction au bord d'une piscine... L'inconnu à la belle
voix la coupa net. Il voulait tout autre chose. Un "plan réel", comme il disait.
Une rencontre. Une soumission à ses désirs...

Caroline s'empourpra et se surprit à bafouiller lamentablement avant de réussir
à émettre une réponse toute faite sur le règlement qui n'autorisait pas...

--Rien à foutre, dit l'inconnu, tu viens et c'est tout. Tu fais ce que je te
dis. Tu ne le regretteras pas.

Est-ce qu'il voulait dire qu'il comptait la payer pour ses services? Outrée,
elle se redressa et entreprit d'invectiver son correspondant, comme quoi les
filles du call-center n'étaient pas des putes, d'abord, juste des femmes qui
cherchaient à gagner leur vie dans un monde de tarés dans son genre, à lui, et les
espèces de pervers tordus dépravés qui se proposaient de les payer pour un soir
au risque de leur faire perdre leur travail de manière définitive étaient de tristes
individus malfaisants et néfastes!
Arrivée au bout de sa tirade, elle tendit l'oreille. Plus un bruit... Il avait sans doute raccroché...
Une si belle voix, quand même... Quel dommage...
Il y eut un petit rire.
--Qui te parle d'argent? fit l'inconnu à la voix grave. Moi je te parle de
plaisir... Tu vas jouir comme jamais de ta vie. Prends un papier et note. Tu vas
suivre mes instructions.

Déstabilisée, elle obéit machinalement. Une feuille de papier, un stylo, elle
écrivit sous la dictée...
Une heure plus tard, elle était dans la navette qui la ramenait des Aubrais vers
Orléans. Elle retira une manche de son manteau et se contorsionna pour se
débarrasser de son haut décolleté gris pâle à manches longues. Coup de chance, il
était en lycra très extensible. Une bretelle rose de soutien-gorge pigeonnant
apparut, sur une épaule blanche, vite enfouie à nouveau sous son manteau.
Deux sièges plus en avant et sur sa droite, un groupe de quatre garçons devisait sans
lui prêter attention. L'un d'eux, du coin de l'oeil, s'aperçut vaguement de son
manège. Elle était en train de répéter la manoeuvre pour l'autre bras. A
nouveau, elle dut se tortiller pour se débarrasser de son vêtement. Le garçon
alertait ses potes, elle accéléra le mouvement. Les trois autres comparses se
retournèrent à l'injonction de leur ami..
Ouf! elle était décente.
Juste à temps... Elle descendit la première du wagon et pressa le pas, de crainte qu'ils
ne la suivent. Quatre types dans les rues presque désertes, et elle, si
peu vêtue...
--Je suis folle, se dit-elle. S'il n'y avait pas eu ce type avec cette voix
incroyable... Je ferais mieux de rentrer...
Mais la voix troublante résonnait encore dans sa tête. Comme si l'inconnu la téléguidait.
Il fallait à présent se débarrasser de son pantalon et de son bustier. Pour le
bustier, c'était assez simple. Elle l'attrapa à travers l'épaisseur du manteau, pinça
le tissu et le fit glisser vers le bas d'un coup sec, jusqu'à la taille. Il lui
faisait à présent une sorte de ceinture improvisée.
Pour le pantalon... Ma foi, il n'y avait pas trente-six solutions. Elle s'arrêta
près d'un banc public en plein milieu de la rue, posa son sac, saisit la
ceinture élastique, se déchaussa d'une torsion de talon et descendit d'un geste
rapide le pantalon jusqu'à ses chevilles. Il était tard... un groupe de gens
approchait. Si elle faisait assez vite, peut-être qu'ils ne remarqueraient rien.
D'une main preste elle dégagea ses chevilles et se rechaussa tout en roulant
vivement les jambes de son pantalon avant de faire disparaître celui-ci dans le
sac.
Sauvée.
Encore que... Le bustier, délogé de sa taille par toutes ces contorsions, commença à
glisser le long de ses hanches. A chaque pas, il descendait davantage, cela
allait bientôt se voir sous son manteau court... Comment s'en défaire? Sous un porche?
Cela risquait d'attirer l'attention... Heureusement, le but approchait.
L¹arrêt du tramway était en vue.
Elle crocha le bustier à travers sa poche et s'y cramponna d'une main jusqu'à l'abri
du tram. Là, elle s'assit sagement comme si elle attendait le dernier passage, et fit coulisser le bustier jusqu'à ses pieds. Une seconde après, il était rangé dans son sac et elle avait retrouvé une apparence de jeune fille de bonne famille, à condition de ne pas regarder de trop près la jarretelle noire brodée que la fente de son manteau révélait à mi-cuisse.

Elle attendit en frissonnant... Elle n'aurait jamais cru qu'il puisse faire si
froid au mois d'août.
Il est vrai qu'elle ne portait plus qu'un string, un soutien-gorge échancré et
un porte-jarretelles de dentelles sous son léger manteau d'été...

La voiture sombre apparut comme un fantôme, son moteur presque
silencieux. La porte arrière s'ouvrit. Caroline se leva, s'avança d'un pas
hésitant... Une main gantée se tendit par la portière, l'aidant à monter. Il
faisait noir à bord, le plafonnier ne devait pas fonctionner. Exprès? Elle
cligna des paupières pour s'accoutumer à l'obscurité, mais déjà on lui bandait
les yeux, avec une sorte de loup noir fixé serré autour de sa tête par deux
brides. Elle apercevait de petits éclats de lumières de la rue par le haut du
bandeau, mais elle ne pouvait rien voir autour d'elle.
La voiture redémarra en douceur avec un ronronnement feutré.
Une main d'homme lui palpa les seins avec rudesse à travers l'étoffe du manteau, une
autre se glissa entre ses jambes pour vérifier sa semi-nudité et remonta jusqu'à
l'entrecuisse. Elle tendit les bras à l'aveuglette pour contrecarrer ce geste
brutal. On lui attrapa les poignets, on les réunit dans son dos. Il y eut le
contact du métal froid puis le cliquetis des menottes, que l'on serre et que l'on
referme l'une après l'autre. Quelqu'un la repoussa en arrière pour qu'elle se retrouve
le dos en appui sur la banquette arrière, la poitrine cambrée à l'extrême par la
posture que lui imposaient ses bras attachés.
On la pelota sans ménagement, un homme sépara ses genoux de force, on lui enfonça un
doigt ganté.
Elle cria. La voiture accéléra.

Au début, elle essaya de compter les tours et les détours pour tenter de se
situer. Cependant, elle connaissait trop mal la ville et dut bientôt renoncer.
Elle essaya de savoir combien étaient ceux qui l'emmenaient.
Il y avait à bord de la voiture, outre le chauffeur, l'homme qui se tenait assis
à côté d'elle et la palpait comme du bétail, mais il lui semblait bien aussi
avoir senti une présence sur le siège avant, à la place du mort. Un complice? Ou
l'initiateur de toute l'opération?

La voiture roulait très vite à présent. Beaucoup de virages. Ils
devaient être sortis de la ville, à moins qu'ils ne tournent délibérément en
rond pour la désorienter.

Soudain, un ralentissement la plaqua contre l'homme qui la touchait. Il sentait
le tabac et un parfum ambré. La voiture pila, comme devant un portail
ou un passage réservé. Les pneus firent crisser du gravier, on roula encore
quelques mètres puis le moteur s'arrêta. Bruits de portières, des pas sur les
gravillons. Combien de bruits de pas? Deux, trois? Elle n'était pas sûre... Un bras
d'homme l'entoura, l'aida à descendre.
--Avance ! fit une voix rauque.
Elle tenta de faire deux pas, au hasard, sans voir où elle allait.
--Pas comme ça, fit la même voix, à quatre pattes!
Il était très difficile de se mettre à genoux avec des talons hauts sans
s'écrouler n'importe comment. Elle y parvint pourtant, non sans se râper les
jambes. Elle ne pouvait pas s'aider de ses mains, toujours attachées dans son
dos. Elle rampa sur les genoux, le buste penché en avant, en suivant la voix
et le bruit des pas de celui qui donnait les ordres. Ils montèrent quelques
marches, sans doute vers une terrasse; des dalles avaient remplacé les
gravillons sur le parcours.

Un tintement de clefs, une porte massive, une entrée où les pas résonnaient, un
sol froid sous ses jambes - sans doute du parquet ciré, ses bas résille
s'accrochaient à chaque mouvement vers l'avant. Caroline avait l'impression de
sentir des regards braqués sur elle. Elle accentua la cambrure de son dos, le
balancement de ses hanches, à tout hasard. L'homme à la voix troublante était-il
seulement présent ? Elle n'avait pas reconnu ses inflexions chaudes dans la voix
du donneur d'ordres.

On la conduisit dans une pièce sans lumière.

On la laissa là, comme une prieuse vouée aux ténèbres.
Elle commençait à avoir très mal aux genoux mais, bien que personne ne lui ait
donné de consigne, elle n'osait pas changer de position.

Des pas lourds se rapprochaient, la porte claqua.
Un homme était entré. Un froissement de tissu, un petit bruit de fermeture
Eclair... L'homme passa la main dans les longs cheveux de Caroline, agrippa sa nuque
et la guida jusqu'à lui. Il passa un doigt sur ses lèvres pour l'inciter à les
entr'ouvrir. Etait-ce "Lui", ou un complice opportuniste? Elle ne savait pas.
Elle céda. Il s'enfonça dans sa bouche jusqu'à la garde et dirigea le
va-et-vient de sa tête, longuement. Il se retira sans avoir joui.
Sans un mot, il tira sur la chaîne reliant ses menottes pour la faire lever. Elle
obéit. Elle avait perdu l'une de ses chaussures et se débarrassa de l'autre d'un
léger coup de pied. Il la conduisit jusqu'au mur du fond, le plus éloigné de la
porte, d'après la façon dont résonnaient les pas. C'était sans doute un ancien
fumoir, toute la pièce était imprégnée d'une odeur tenace de cigare. Il y eut un
bruit métallique.
L'homme manipulait un anneau de fer scellé dans le mur; il y
relia les menottes. Il vérifia qu'elles étaient bien fixées et tira sur la chaîne.
Caroline bascula en arrière, le haut du dos en appui contre
le mur glacé, jambes écartées pour ne pas perdre l'équilibre. Il en profita
aussitôt pour passer une main le long de sa cuisse, à l'intérieur, en remontant.
Il enfonça le pouce dans sa fente, elle n'était pas prête, il força un peu. Il
avait les ongles longs, il la griffait, c'était douloureux. Elle se contraignit à
rester muette, mais des larmes lui échappèrent.
Il remplaça rapidement son pouce par son sexe. Cette fois, il ne tarda pas à lui
arracher un gémissement, qui se mua en cri aigu quand il la saisit aux hanches
pour mieux la besogner. Elle sentit une vague de chaleur monter en elle, comme
une fièvre qui l'emportait, de plus en plus haut... Il se retira soudain, la fit
se redresser, la retourna et la contraignit à se pencher en avant, en appui joue
contre le mur humide. Il guida son sexe entre ses fesses cambrées et la pénétra d'un
seul coup, la faisant hurler. Il déchargea après quelques coups de boutoir, se
retira en lui arrachant un autre cri...
Ses pas s'éloignèrent, la porte se referma.
Caroline resta seule dans l'obscurité. Elle se laissa glisser le long du mur,
les jambes tremblantes. Au-dehors, un moteur de voiture, des talons qui claquaient, des voix, un rire...

La nuit venait tout juste de commencer...
 
                                                                       *****
Par paulgris - Publié dans : nouvelles érotiques - Communauté : textes érotiques
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